Dans la cabane de Marie Dedieu au Kenya
Dans la cabane de Marie Dedieu au Kenya. Crédit : Leela Jacinto (Nikon COOLPIX P500)
Cette photographie a été prise à l'intérieur de la cabane abandonnée de Marie Dedieu, la Française de 66 ans qui a été enlevée le 1er octobre dans sa maison située sur l'île de Manda, au large des côtes kenyanes. Elle a par la suite été déclarée morte par les autorités françaises. Son corps n'a toujours pas été récupéré.
Accompagnée de mon guide, Mohammed Aweso, j'ai pris un bateau depuis l'île de Lamu pour rejoindre l'île de Manda, où Marie Dedieu vivait. Les deux îles font partie de l'archipel de Lamu, situé non loin de la frontière somalienne.
Nous avons rencontré Bernard Benedictaponda, un homme qui travaillait en tant que domestique dans une maison attenante à celle de Marie Dedieu. Il a accepté de nous montrer la cabane de la Française. La cahute très rustique de cette femme, située en front de mer, a été clôturée par des stores de bambous attachés par des cordes. J'ai commencé à prendre quelques photos pendant que Mohammed et Bernard discutaient à l'ombre d'un arbre.
En m'approchant de la maisonée, j'ai remarqué que la corde n'était pas attachée très solidement. Je me suis donc glissé à l'intérieur de la cabane le plus rapidement et discrètement possible.
Je n'étais pas rassurée en entrant dans la cabane - en mon for intérieur, je me disais que je faisais irruption dans l'intimité de cette femme décédée et que je pourrais avoir des ennuis. Surtout qu'au cours des dernières semaines, beaucoup de journalistes se sont rendu sur ce minuscule archipel et l'accueil qui nous est réservé n'est pas toujours des plus agréables. Un propriétaire d'un hôtel notamment est devenu très agressif avec moi quand il a su que j'étais reporter. Ce n'était pourtant pas un local...
Une fois à l'intérieur de la cabane, je n'ai pas cessé de prendre des photographies en me disant que je ne tarderai pas à me faire virer des lieux ou que j'énerverai Mohammed et Bernard.
Je ne suis pas une photographe professionnelle. Par le passé, j'ai seulement eu l'occasion de travailler avec des photographes professionnels ; je n'ai donc pas du tout l'habitude de faire ce genre de choses. Je ne cherchais pas à scruter le moindre de ses effets personnels ; je me suis juste déplacée dans la maison pour prendre des plans larges des pièces de la maison, comme la salle de séjour ou sa chambre.
C'est alors que j'ai senti mon souffle se couper pour la première fois. Dans la chambre de Marie Dedieu se trouvait deux petites étagères tapissées de quelques livres. J'ai compris que cette femme aimait lire. Comme moi. J'adore les livres. Ils sont ma vie. Alors j'ai soudain ressenti ...comment dire... une certaine proximité, une intimité, je suppose ... avec cette femme que je n'avais jamais rencontrée. Avec cette femme qui était morte dans des conditions horribles.
Co-fondatrice du MLF (Mouvement de libération des Femmes) -une ancienne association française qui luttait en faveur du droits des femmes- Marie Dedieu était une féministe d'une génération que j'admire beaucoup. elle fait partie de celles qui ont mené le combat dans les années 1960. Ces filles de la première heure.
Les mains moites, le cœur haletant, j'ai rapidement scruté la pièce. Parmi les livres empilés sur une table, j'ai remarqué le livre de Jonathan Franzen, "Freedom". C'était une édition traduite en français, mais le titre était le même qu'en anglais - la version orginale est sortie l'an dernier. Ce devait être un de ses derniers livres, qu'elle a probablement acheté lors de son dernier voyage en France. Je pense que c'est le dernier cliché que j'ai pris, avant de me faufiler derrrière les stores de bambou et retrouver le soleil de Manda.
En regardant cette photo de la chambre de Marie Dedieu, je remarque maintenant des éléments que je n'avais pas vus sur le coup. Comme le livre utilisé comme cale-pied pour le lit qui ressemble à un bouquin édité chez Gallimard. Difficile à expliquer mais ce livre qui soutient le lit m'émeut. Personne ne mérite de mourir de cette façon. Repose en paix Marie Dedieu.
Leela Jacinto
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